Effondrement sociologique ou la panique morale d’un sociologue

En débat
Par Jean-Michel Hupé, Jérôme Lamy, Arnaud Saint-Martin
Français

Avec Apocalypse cognitive, le sociologue Gérald Bronner entend traiter un problème grave : notre attention serait vampirisée par les moyens modernes de communication et d’échanges. Internet et les réseaux sociaux numériques, en particulier, auraient pris d’assaut notre « cerveau ancestral ». Cet univers numérique, fonctionnant selon lui à la façon d’un « marché libre » et « dérégulé », accaparerait des esprits rendus faibles par des contenus de qualité douteuse. G. Bronner entend démontrer en quoi l’activité en ligne révèle (sens premier de l’apocalypse du titre) les limites et faiblesses de notre fonctionnement cérébral et menace la démocratie et la civilisation. L’auteur a recours au registre alarmiste de l’« apocalypse » et distille, au gré d’une démonstration qui se veut rigoureuse, des recommandations pour sortir de l’ornière. Apocalypse cognitive ne s’adresse pas spécialement à un lectorat académique. Cet essai relève plutôt de l’intervention et de l’alerte. Pourtant, il prétend s’appuyer sur des connaissances scientifiques et son auteur ne cesse de faire appel à l’autorité des neurosciences pour accréditer des vues souvent très personnelles. Et c’est en cela que le bât blesse. G. Bronner enchaîne les affirmations péremptoires sur la « nature humaine », fonde ses interprétations sur des données biaisées, et déforme les résultats des neurosciences pour les ajuster à des opinions très tranchées. Nous documentons dans cette lecture critique en quoi cet usage de l’autorité scientifique est questionnable, sans épuiser l’inventaire des mésinterprétations et erreurs contenues dans le livre (une annexe, déposée sur l’archive ouverte HAL, en liste l’essentiel). Fourre-tout qui ne résiste pas à l’épreuve de l’argumentation scientifique, Apocalypse cognitive offre donc non pas un diagnostic sérieux mais une incantation moraliste, mobilisable dans le champ politique.

  • neurosciences
  • sociologie de l’Internet
  • Gérald Bronner
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