Citoyens en principe, indigènes en pratique ? L’obligation scolaire et ses dilemmes à Tahiti sous la IIIe République
Les Établissements français de l’Océanie sont un cas empiriquement intéressant pour comprendre l’action de l’État français dans ses possessions ultramarines. En vertu d’un régime très particulier qui a vu la moitié des autochtones devenir des citoyens français quand les autres restaient des « sujets indigènes », cette possession lointaine échappe au traditionnel clivage citoyens versus sujets. Si la question de l’exercice effectif des droits politiques a déjà été partiellement analysée, ce n’est pas le cas d’un autre vecteur de la citoyenneté : l’école. Alors que les intérêts de la « mission civilisatrice », et en particulier l’impératif de francisation linguistique de ces nouveaux citoyens français, commandaient l’extension de l’obligation scolaire à Tahiti, elle ne sera adoptée localement qu’en 1897, au terme de deux décennies de débats qui éclairent d’un jour nouveau une tension impériale fondamentale entre la nécessité de considérer comme « égaux » ceux qui étaient, et devaient dans une certaine mesure rester, « différents ». Cet article propose de relire cette tension à l’aune des résistances à la loi métropolitaine, aussi bien du côté des colonisateurs que de celui des colonisés, en montrant d’un côté comment la logique racialiste, officiellement inopérante ici, ne cesse de refaire surface dans le texte public, et de l’autre comment le texte caché des Polynésiens ne cesse de compromettre, en pratique, l’application de la loi.