Fouiller… Militer
La problématisation de la cause des « victimes du franquisme », apparue depuis le début des années 2000 en Espagne, hybride d’une part des logiques de transmissions mémorielles et d’autre part l’usage de référents promus par le champ international des pratiques dites « post-conflictuelles » (mobilisations de « victimes », politiques de « réconciliation », lutte pour la « vérité, la justice et la réparation », contre l’ « impunité », etc.). Afin de documenter les modalités de cette hybridation, cet article propose de placer la focale sur les carrières individuelles d’une certaine catégorie d’acteurs de cette cause : non pas celle des héritiers des « disparus », mais des professionnels, archéologues et anthropologues physiques, engagés dans la recherche des corps gisant dans des fosses communes et dont les compétences pratiques participent précisément de la construction de la cause portée.
Cet article combine une analyse processuelle de l’engagement ainsi qu’une approche soucieuse des formes d’expérimentations sensibles générées par le traitement concret d’un problème public. Il met en évidence que, loin d’être des problématiques soudainement greffées ou des ressources d’actions purement instrumentales, la « thématique mémorielle » comme les préceptes moraux du post-conflit (« vérité », « réparation », « lutte contre l’impunité », « disparu », etc.) sont des problématiques éprouvées affectivement et intellectuellement par les experts, tout en étant ajustées à des préoccupations et des inclinations forgées lors des expériences biographiques. En retraçant diachroniquement les multiples expériences de socialisations (familiales, militantes, professionnelles) des acteurs, il s’agira de démontrer que les experts ont éprouvé, sur le long cours, des expériences (sensibles, cognitives, pratiques) et intériorisé des cadres d’interprétations (militants, scientifiques, moraux) qui président à la mise en forme ultérieure de la cause.