Comparer en France

Petit essai d'autobiographie disciplinaire
Par Jean-François Bayart
Français

La réforme de la Recherche et de l’Université en France peut avoir des conséquences fâcheuses sur la sociologie historique comparée du politique qui s’y est développée depuis les années 1970. La relecture des principaux fondements théoriques permet de rappeler les objectifs de l’exercice comparatif : partager, voire forger un vocabulaire, en excluant que ce dernier puisse identifier un dénominateur commun ou conduire à une explication causale. Mettre en regard non des entités, mais des pratiques, des processus et des moments historiques par définition contingents et incertains. Mutualiser des interrogations sans en attendre des réponses unitaires. Les translater de l’analyse d’une société à celle d’une autre. Montrer que les continuités sont par définition des discontinuités. Reprendre à nouveaux frais la question de l’« historicité propre » des sociétés, dont le rapport à l’Ailleurs et à l’Autre est un élément constitutif et qui est indissociable de leur extraversion fondamentale. Ne pas déduire de cette « historicité propre » des sociétés que les « trajectoires du politique » sont des parallèles destinées à ne pas se rejoindre, et refuser de substituer à la vieille idée de l’incommensurabilité des « cultures » ou des « civilisations » le nouveau préjugé de l’incommensurabilité de ces trajectoires historiques. Rappeler en conséquence que la comparaison ne peut pas être à sens unique et que l’historicité des sociétés européennes gagne à être mesurée à l’aune des sociétés africaines ou asiatiques autant que l’inverse. En bref, il s’agit de comparer pour singulariser, et de singulariser pour universaliser.

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