De la sainte pèlerine au juge martyr : les parcours de l'antimafia en Sicile
Ce travail s’interroge sur la nature d’un dispositif cultuel qui pivote sur deux dates : le 14 juillet, jour de la fête urbaine de sainte Rosalie, et le 4 septembre, jour du pèlerinage voué à la même patronne. Ces deux actes dévotionnels relèvent, à première vue, de deux univers distincts : la vie civique et la recherche de communion avec le divin. Pourtant, ces deux dimensions s’agencent aussi bien dans la fabrication hagiographique du patronage de sainte Rosalie, au début du XVIIe siècle, que dans sa réactivation à la fin du XXe siècle par le maire antimafia de Palerme, L. Orlando. Cet article explore l’hypothèse que l’expérience du pèlerinage, élément constitutif du profil hagiographique de sainte Rosalie, fonde la possibilité de son intercession comme libératrice de la peste au XVIIe siècle. Transposée dans le contexte contemporain de la lutte contre le « fléau mafieux », cette hypothèse amène à se demander si l’isolement forcé des juges antimafia, leurs vies érémitiques, ne créditent pas ces derniers du pouvoir de sauver la cité, créant les conditions de leur sacralisation. L’on examinera le parcours singulier du juge Rosario Livatino, victime d’un attentat mafieux en septembre 1990, pour lequel est en cours un procès en béatification comme « martyr de la Justice ». À travers cette figure paradigmatique, surgit la dimension politique du pèlerinage comme témoignage qui authentifie, au moyen d’une épreuve personnelle, un parcours de sainteté.