Pèlerinage et nationalisme hindou : les limites de l'interprétation instrumentaliste
La lecture anthropologique du pèlerinage que Victor Turner a énoncée en termes de communitas se révèle des plus pertinentes dans le cas de l’hindouisme : le pèlerinage hindou se traduit en effet par un effacement relatif et temporaire des clivages sociaux – et notamment des divisions entre castes –, permettant l’émergence d’un sentiment de groupe. La géographie des lieux de pèlerinage dessine en outre une carte de la terre sacrée inscrivant dans l’espace l’aire d’extension de la civilisation hindoue. Les nationalistes hindous ont cherché à exploiter cette alchimie particulière pour offrir une définition ethnique de la nation (et de son territoire) et mobiliser à leur suite en donnant à certaines de leurs manifestations des allures de pèlerinage. Cette démarche s’est affirmée au début des années 1980 avec la Ekatmata Yatra (Pèlerinage de l’unité) de 1983 et s’est confirmée en 1990 avec la Rath Yatra (Pèlerinage avec char). Mais l’interprétation instrumentaliste qui a été donnée de ces mouvements achoppe sur un point déjà au cœur de l’historiographie des « subaltern studies », à savoir que les masses ne se mobilisent pas forcément pour les mobiles que les leaders politiques mettent en avant. En l’occurrence, les femmes sont descendues dans la rue en grand nombre, autant parce qu’elles se sentaient concernées par l’objet des manifestations que parce que celles-ci légitimaient leur entrée dans un espace public qui leur est encore relativement fermé.