Jouer les bons citoyens

Dossier  : Dispositifs participatifs
Les effets contrastés de l'engagement au sein de dispositifs participatifs
Par Julien Talpin
Français

Résumé

Le paradigme délibératif, aujourd’hui dominant dans le champ des théories de la démocratie, repose sur une hypothèse anthropologique forte : la délibération aurait pour vertu de modifier les préférences et l’identité des citoyens en les orientant vers le bien commun. Les présupposés épistémologiques de cette approche (inspirée de la psychologie expérimentale et des sciences cognitives, qui mettent l’accent sur le for intérieur des individus) apparaissent néanmoins erronés. Parce que les opinions individuelles sont le fruit de leurs conditions de production et de leur contexte d’expression, et parce que les décisions prises au sein des dispositifs participatifs où se déploie la délibération sont le fruit des arguments effectivement avancés plus que des préférences supposément possédées, l’étude des effets de la délibération doit se concentrer sur le discours des acteurs en situation, sur l’espace d’interaction où les individus discutent, échangent et agissent de concert, et prennent occasionnellement – selon la situation – le rôle collectivement construit de « bons citoyens. » La compétence civique dans des espaces participatifs requiert ainsi de s’exprimer conformément à une grammaire publique délibérative qui, si elle rejette les postures trop ouvertement politisées, n’est pas proprement apolitique puisqu’elle suppose l’expression d’arguments compatibles avec l’intérêt général. Ces règles grammaticales implicites que font respecter les participants réguliers et intégrés poussent les acteurs à modifier leurs arguments et à endosser le rôle de bons citoyens. La participation à des arènes délibératives peut ainsi se traduire par des bifurcations argumentatives et trajectorielles chez certains interactants qui jouent alors pleinement leur rôle de bon citoyen.

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